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L’Education des femmes par les femmes/Madame de Lambert

L’Education des femmes par les femmes/Madame de Lambert

I l est peu de femmes qui aient pris a rencontres avec un homme plus jeune dans la 40aine c?ur la cause des femmes avec autant d’ardeur que la marquise de Lambert.

Quand Fenclon reclame en leur faveur, au nom de la famille, de la societe et de la religion, sa reclamation ne trahit que l’emotion genereuse d’un philosophe et d’un chretien. Cette emotion, chez Mme de Lambert, s’anime de toute la vivacite du sentiment personnel froisse. Sa dignite souffre a la pensee « qu’on ne travaille que pour les hommes, comme s’ils formaient une espece a part, tandis que les femmes sont sacrifiees, abandonnees, reduites a neant : dans leur jeunesse on ne les occupe a rien de solide ; au cours de la vie elles ne peuvent se charger ni du soin de leur fortune ni de la conduite de leurs affaires ; elles sont livrees sans defense au monde, aux prejuges, a l’ignorance, au plaisir ; il suffit qu’elles soient belles, on ne leur demande rien de plus : on les tient quittes de tout le reste. » Mme de Lambert ne se borne pas a etablir une fois ses griefs : il n’est pas un de ses ecrits ou elle n’y revienne ; elle les developpe, les retourne en tous sens, les aiguise. Elle essaye bien par moments de rendre dedain pour dedain : « Apres tout, les hommes auront beau faire, ils n’oteront jamais aux femmes la gloire d’avoir forme ce que les temps passes ont compte de plus honnetes gens » ; elle se repete « qu’il y a bien peu d’hommes qui soient en etat de comprendre le merite des femmes. » Mais cette vengeance intime ne la satisfait point. Une telle inegalite de condition — que la nature n’a point creee et qui est l’?uvre de la force — l’humilie et l’irrite. Elle crie a l’usurpation, a l’injustice : « Quelle tyrannie que celle des hommes ! Ils pretendent que nous ne fassions aucun usage de notre intelligence ni de nos sentiments ; ils veulent que la bienseance soit aussi blessee quand nous ornons notre esprit que quand nous livrons notre c?ur ; en verite, c’est etendre trop loin leurs droits. » Elle ne pardonne pas a Moliere d’avoir « deplace la pudeur, attache au savoir la honte qui etait le partage du vice et fait que le ridicule est devenu plus redoutable que le deshonorant. » Ce sont les hommes aussi bien qu’elle entend defendre contre les entrainements de leurs propres violences. N’est-ce pas sur leur bonheur qu’ils entreprennent quand ils degradent les compagnes de leur vie et les meres de leurs enfants ? « Oui, conclut-elle dans un passage ou elle resume sa pensee agressive, je vous le demande de la part de tout le sexe : qu’attendez-vous de nous ? Vous souhaitez tous de vous unir a des personnes estimables, d’un esprit aimable et d’un c?ur droit : permettez-leur donc l’usage des choses qui perfectionnent la raison. »

Ce qui soutient Mme de Lambert dans ses revendications et ce qui devait les justifier aux yeux des contemporains, c’est que cette education qu’elle reclamait pour les femmes, elle se l’etait elle-meme donnee.

« Renvoyee a moi-meme, ecrivait-elle, j’ai pense a tirer de moi seule mes amusements, mes appuis, ma force. » Et elle avait le droit de se rendre ce temoignage. On ne se la represente d’ordinaire que dans le repos et l’eclat du salon qu’elle a si longtemps gouverne ; on oublie que, lorsqu’elle l’avait ouvert, elle comptait plus de soixante ans [1] . La vie jusque-la ne l’avait point epargnee. Il est peu probable qu’elle ait connu celui dont elle avait recu le nom, — Etienne de Marguenat, seigneur de Courcelles, maitre ordinaire en la chambre des Comptes ; — hebete par ses infortunes domestiques, il etait mort moins de deux ans apres qu’elle avait vu le jour. Mais on est autorise a penser que l’exemple de sa mere, dont les m?urs avaient defraye la chronique scandaleuse de Tallemant, contribua a lui inspirer pour la vie licencieuse cette sorte de degout mele de tristesse qui est un des caracteres de sa morale ; et si Bachaumont, qui avait epouse Mme de Courcelles en secondes noces, non sans avoir anticipe peut-etre sur ses droits, dut concourir a developper en elle l’amour de l’etude, on ne peut guere douter qu’elle y fut portee par le besoin de se faire a elle-meme une vie personnelle et de defense contre les dissipations dont elle avait le spectacle sous les yeux. Fontenelle raconte que, « toute jeune, elle se derobait souvent aux plaisirs de son age, pour aller lire en son particulier, et qu’elle s’accoutuma des lors, de son propre mouvement, a faire des extraits de ce qui la frappait le plus : c’etaient deja ou des reflexions fines sur le c?ur humain, ou des tours d’expression ingenieux, mais le plus souvent des reflexions. »

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